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      Ce que le néolibéralisme provoque dans notre démocratie

      Timothée Jaussoin · Friday, 16 June, 2023 - 10:51 · 4 visibility

    Un très bon article du sociologue Rémi Boura, Docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSL

    #neolibarism #politique #parlement #assemblée #démocratie

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      Systèmes électoraux : la France à la traîne

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 21 April, 2023 - 03:00 · 5 minutes

    Parmi les slogans qui ont émergé en mai 1968 , il y a eu « élections, piège à cons ».

    Ce slogan sans doute excessif portait néanmoins en lui un questionnement profond à ce qui se nomme démocratie . J’allais écrire « qui s’auto-nomme » tant il est fréquent que des individus au pouvoir ou aspirant à y accéder manipulent sans grâce ce concept.

    L’archaïsme du modèle électoral français

    Comparée aux autres États de l’ Union européenne , la France détient en ce domaine le record de l’archaïsme avec son système électoral fermé. Il est de bon ton de larmoyer dans les gazettes sur le taux d’abstention sans chercher à comprendre ses causes profondes.

    Le mode électoral de vote uninominal majoritaire à deux tours est éminemment non-démocratique. Pour ne prendre que les plus proches, les élections législatives des années 2012-2017-2022 montrent que 40-45 % des choix exprimés au premier tour ne sont pas représentés à l’ Assemblée nationale .

    D’un point de vue « scientifique », si ce qualificatif veut bien s’appliquer aux choix erratiques de millions de personnes très souvent peu documentées sur les enjeux en présence, le seul mode électoral crédible est le vote à la proportionnelle intégrale. Rappelons que sur les 27 États membres de l’UE, 24 votent à la proportionnelle selon des modalités adaptées. 1

    La proportionnelle ne gomme pas les imperfections dues aux absences de documentations des votants. Néanmoins, en faisant du pays une seule et unique circonscription, comme en Israël, elle répond à l’exigence d’égalité totale selon l’endroit où vote l’électeur, elle donne une image la plus précise des différentes sensibilités politiques, elle évite le charcutage des circonscriptions.

    À ce sujet, rappelons qu’il y a eu en France une longue période où pour élire un député communiste il fallait deux fois plus de voix que pour élire un député gaulliste…

    Rappelons aussi qu’un député élu au scrutin uninominal de circonscription ne représente en aucun cas celle-ci : élu national, il siègera à l’Assemblée nationale pour voter (ou pas) des lois nationales.

    Le modèle irlandais

    Si la proportionnelle intégrale n’est pas adoptée, je propose comme solution de repli le mode électoral utilisé en République d’Irlande qui marie vision proportionnelle des forces et choix raisonné de la part d’un électeur : single transferable vote .

    Exemple.

    Je vote dans une circonscription où se présentent sept candidates et candidats. Sur le listing de vote, je coche le candidat du Fine Gael ; puis, au cas où mon candidat ne recueillerait pas le quota ad hoc pour être élu, je décide de reporter mon choix vers la candidate du Sinn Fein dont j’ai apprécié les actions locales ; puis je reporte mon choix sur le candidat indépendant, etc. Le dépouillement est un peu long. En 2022, le dernier élu l’a été au quatorzième report. Néanmoins la vision politique est fine. Avec les premiers choix consolidés au niveau national, nous obtenons une vision panoramique des forces politiques en présence ; avec les reports, nous respectons les choix raisonnés et la qualité des vrais engagements des candidats. Au Parlement de Dublin « Dail Eireann », sur les 160 députés actuels, 22 sont des indépendants.

    Quel que soit le mode électoral adopté, il convient aussi de calculer les choix en rapport du Corps Électoral Total (CET) c’est-à-dire toutes les personnes en âge de voter et dotées de leurs droits civiques, inscrites ou pas sur les listes électorales. En se contentant des suffrages exprimés les analyses sont faussées et ne prennent pas en compte la sociologie électorale globale. Exemple : au référendum de juin 2016, 65 % du corps électoral de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord n’ont pas voté Oui au Brexit ! 2

    Le référendum est une mécanique étrange. Comme l’a dit un sage indien : « Vous avez un truc bizarre en Occident, vous appelez ça référendum ; vous comptez des têtes sans savoir ce qu’il y a dedans… ! »

    Le dilemme des démocraties

    De fait, les démocraties sont hantées par ce dilemme : d’un côté, elles ont besoin de voir leurs lois largement approuvées par les citoyens ; de l’autre, elles sont manifestement incapables de résoudre leurs problèmes majeurs sans passer par une centralisation du pouvoir et donc des lois très générales qui excluent par principe l’approbation populaire. Si l’on veut que la confiance envers la démocratie revienne, il faut la décharger des illusions qui ont transformé le rêve d’une vie publique harmonieuse en un cauchemar : demander aux citoyens de s’occuper d’affaires pour lesquelles ils ne sont pas outillés intellectuellement. 3

    « L’opinion publique n’existe que là où il n’y a pas d’idées. » Oscar Wilde

    Le cas de la Suisse est vraiment à part. Un sujet validé par le Conseil fédéral va être documenté et débattu partout et jusqu’à deux années avant d’être soumis à la votation. Des balances sont prévues. Ainsi pour un texte de portée fédérale, outre le fait qu’il doit recueillir plus de 50 % des votes (Oui/Non), il faut aussi que les deux tiers des votants des 26 cantons aient voté Oui ou Non, parfois avec pondération démographique. Il est vrai que les pratiques des Suisses ont débuté en 1291, ils ont eu le temps de les peaufiner.

    Les problèmes les plus frustrants de la démocratie sont justement ceux qui ne peuvent pas être résolus par des principes démocratiques. Ceci étant acquis et le 51/49 étant absurde d’un point de vue scientifique, je préfère faire confiance à des élites irrécupérables, des compétences très variées et de haut niveau de connaissances, des mixités d’âges, de sexes, de lieux géographiques, des choix pondérés par des confrontations sérieuses hors des imprécations démagogiques… Pour découvrir des tendances, pas des majorités. Dans des comités ainsi constitués, les membres nommés seraient choisis pour une durée limitée (cinq ou dix ans) et sans redoublement possible.

    Je sais, ce n’est pas « démocratique » …

    « Will our children be better off than we were ? Yes, but it’s going to be due to the engineers, not the politicians. » Thomas Massie, (Kentucky)

    1. Liam Fauchard, La Comédie Démocratique / Liberté – Fraternité -Autogestion , Ed2A 2017.
    2. ONS – Office National des Statistiques (UK).
    3. Walter Lippmann, Le public fantôme , Démopolis 2008.
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      Démocratie : que se passe-t-il en Tunisie ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 8 March, 2023 - 03:30 · 20 minutes

    Une question légitime au vu de la situation de ce pays qui a pu paraître, pour nombre d’observateurs, comme une exception dans le paysage arabe musulman, réussissant ce qu’on a appelé à tort révolution du prétendu Printemps arabe . Car la situation est bien plus complexe qu’on n’ose l’évoquer et les choses n’y sont pas aussi simples qu’on le dit.

    Que se passe-t-il donc en cette Tunisie supposée, depuis peu, acquise à la démocratie ? Y a-t-il eu coup ou coups d’État ? Y assiste-t-on réellement à la mise à mort d’une démocratie naissante ? Et quid du modèle sui generis espéré sur sa terre d’une démocratie islamique ?

    Un régime traditionnellement autoritaire

    De fait, la Tunisie a souvent constitué un modèle et ce même du temps de la dictature, réputée comme élève studieux et appliqué dans l’apprentissage de la modernité. C’est que le dictateur Ben Ali, déchu en 2011, se réclamait volontiers du legs du premier président de la Tunisie indépendante, Habib Bourguiba.

    Certes, il l’avait déposé à la faveur de ce qu’on a appelé coup d’État sanitaire ; or, ce fut en application de la Constitution de l’époque et l’état de santé de Bourguiba, notoirement malade et quasiment inapte à gouverner, pouvait justifier une telle entreprise. Au reste, elle fut saluée par nombre de démocrates comme un acte courageux et salutaire dans l’intérêt bien compris du pays. Au point que pratiquement personne n’a contesté le sort indigne réservé au père de l’indépendance tunisienne, qui a fini sa vie reclus en prisonnier politique dans l’une de ses résidences de luxe.

    Il faut dire que le dictateur eut soin de se ménager le soutien de nombreuses figures éminentes de la Tunisie moderne, compagnons de route de Bourguiba, mais aussi opposants illustres à son autoritarisme et au culte entretenu de sa personne. Il a aussi tenu, au début de son règne, à faire des gestes significatifs, quoique simulés, en vue d’un assainissement de la situation politique vers le pluralisme et la démocratie, attendus par tout le peuple.

    Au vrai, il n’a fait que louvoyer, simuler et dissimuler, tournant vite sa cuti dès qu’il estima venu le moment de mettre le pays et son peuple jugé par trop turbulent s’il lui arrivait d’avoir ses droits et ses libertés, d’ailleurs jamais acquises même sous Bourguiba, pourtant chantre de la modernité du pays.

    Aussi Ben Ali a-t-il été le dictateur affiché que n’était pas Bourguiba, mais qui n’était pas moins un autocrate, éclairé certes, mais guère démocrate, un dictateur caché. Ainsi, le fruit de l’autoritarisme était bien dans le fruit Tunisie et la dictature n’a fait que le rendre visible, l’admettre même pour divers motifs et par nombre de subterfuges, dont les plus sophistiqués. La preuve ? Un arsenal juridique liberticide qui est, au demeurant, toujours en vigueur.

    Si Ben Ali n’avait pas les capacités intellectuelles de Bourguiba et encore moins sa vision de la politique et son charisme, il n’était pas moins un pur produit du système sur lequel a été érigée la Tunisie postcoloniale. Celui d’un État jaloux de son pouvoir, y voyant sa nécessaire force, l’exerçant au travers des forces de l’ordre et surtout d’une administration pléthorique, tatillonne dans le formalisme et le service de son magistère assimilé à celui du prestige de l’État. Et peu importe si cela se confond avec la classe au pouvoir ou la personne des gouvernants, fut-il un seul. Ce qui n’est pas seulement une spécificité du pays, mais également une idiosyncrasie culturelle que l’islam, ou du moins l’exégèse qu’on en a faite, a magnifiée en la dotant de ce qui lui manquait : un caractère indu de sacralité.

    La politique tunisienne a de la sorte toujours été sans ses lettres de noblesse, quoique la forme y était du temps de Bourguiba, mais non dénuée, au-delà des apparences de la force s’ajoutant à la rouerie de la politique à l’antique. Or, en cela, excellait Ben Ali, le miliaire pur jus. Ainsi, en termes de ruse s’est-il fait servir par des compétences qui se dévouaient, pour nombre d’entre elles, moins pour sa personne qu’à la cause du peuple. C’est un tel désintérêt de la politique chez pas mal de grands commis de l’État qui a assuré le succès tant vanté à l’étranger de la gestion du pays pas son régime autoritaire et ce malgré l’absence de démocratie.

    Pareille attitude chez ce personnel dévoué à la chose publique se retrouve être un trait sociopsychologique du peuple tunisien dont la capacité d’adaptation à toutes les situations est phénoménale avec une propension au fatalisme d’avoir des chefs maniant la cravache. Trop libre et même libertaire, le Tunisien accepte de céder sa liberté formellement pour pouvoir, en catimini, à l’ombre des lois répressives, vivre à sa guise son hédonisme, sacrifiant pour cela son droit à la citoyenneté. Ce qui n’était que pain bénit pour la dictature qui a alors su moduler l’usage de la force, parfois par trop sauvage, selon le degré de la gêne trouvée à assouvir sa passion d’abuser à gouverner et le faire, elle aussi, à sa guise.

    Un coup d’État déguisé en coup du peuple

    C’était, à grand trait brossé, l’état de la Tunisie à la veille de ce qu’on a appelé bien à tort révolution du jasmin et qui ne fut au mieux que ce que j’ai nommé dès le départ, coup du peuple. En fait, il s’agissait d’un coup d’État fomenté par les services américains dans le cadre de leur stratégie géopolitique et en exécution de leurs accointances avec l’islam rigoriste. Un signe qui ne trompe pas : la prétendue fuite de Ben Ali, déshonneur suprême pour un militaire, qui s’est retrouvé retenu en Arabie Saoudite. Ce qui n’aurait pu se faire sans la défection de ses cercles les plus rapprochés au vu de la défiance du peuple à l’égard du régime et son muet rejet.

    On a pu dire que Ben Ali n’a récolté que ce qu’il avait semé, n’ayant jamais eu le souci de ce que voulait son peuple : ses droits et ses libertés, en contrepartie du lourd tribut payé à supporter sa dictature et les exactions de sa famille. Or, même en catimini et à bas bruit, le peuple de moins en moins pouvait le faire. Aussi, lui garantir le minimum vital, ce à quoi veillait Ben Ali ne suffisait plus aux yeux des masses démunies de tout, surtout de la dignité de son vouloir être particulier précité.

    Or, ce coup d’État dont on ne parle pas est la première turpitude des élites tunisiennes post-dictature, particulièrement celles se prétendant au service des libertés et de la démocratie. La seconde, la plus importante à maints égards, fut évidemment de ne pas satisfaire la cause d’un pareil silence, subterfuge qui était destiné à permettre la réussite d’une transition sans heurts de la dictature à la démocratie, mais une vraie démocratie. Ce qui pouvait se justifier si l’on avait osé satisfaire les attentes populaires en termes de droits et de libertés concrets. Ce qu’on s’est gardé de faire.

    Ainsi, plus de dix ans durant, soit de janvier 2011 à juillet 2021, date de ce qu’on a appelé coup de force du président actuel, rien n’a été fait pour abolir la législation scélérate de la dictature. On s’est limité à singer l’Occident en adoptant une Constitution consacrant théoriquement les droits fondamentaux et les libertés privatives, mais avec l’intention délibérée de la garder lettre morte. On l’a même entendu sur les travées de l’Assemblée des représentants du peuple, le Parlement tunisien. Cela s’est vérifié d’abord avec le refus d’instaurer la Cour constitutionnelle, formalité essentielle prévue pourtant par le texte fondamental avec une date butoir à son installation. Et bien évidemment, cela s’est confirmé avec le refus d’abolir les textes les plus perfides de la dictature.

    De telles turpitudes ne furent pas de la seule faute des islamistes contrôlant les rouages essentiels de l’État. Pour ce faire, ils avaient besoin des compromissions des supposés modernistes et laïques ; et ils les ont eues. Ces derniers leur ont permis de rester au pouvoir et même après l’arrivée à la magistrature suprême du défunt président Caïd Essebsi, supposé émule de Bourguiba, élu avec les voix des femmes et des jeunes avec la ferme promesse de leur rendre leurs droits et qui ne l’a pas honorée sciemment en pratiquant le mensonge au nom d’une bien vicieuse realpolitik.

    L’occasion ratée d’un contrecoup du peuple

    On l’a dit supra, le peuple arrivait de moins en moins à vivre à sa guise bien qu’en cachette, ce qui était une forme de dignité à ses yeux ; il en venait aussi de plus en plus ouvertement à rejeter ce qu’on avait appelé dictature souriante. Le Tunisien commençait même à muer psychologiquement, loin de l’archétype habituel de personne souriante, ouverte à l’altérité, car il supportait de moins en moins sa vie de claustration dans un pays devenu une réserve alors qu’il a dans le sang le besoin de bouger, circuler librement.

    C’est ce qui explique la terrible vision, au lendemain de la chute de la dictature, des multitudes de la jeunesse tunisienne se ruant sur les plages désertées par les forces de l’ordre pour « brûler » comme on dit populairement, faire la traversée de la Méditerranée vers les îles italiennes proches. On était pourtant à l’orée d’une aube nouvelle mais ces jeunes de Tunisie rêvaient d’autre chose : leur liberté chérie, comme s’ils savaient à l’avance qu’elle n’aurait pas droit de cité encore dans le pays. Car c’est pour elle qu’ils ont fait le coup de feu contre les sbires du dictateur et que nombreux parmi eux ont payé de leur vie sous les coups des snipers stipendiés, semble-t-il, par les forces occultes agissant à la chute de la dictature populairement honnie.

    Effectivement, la situation du peuple ne varia pas d’un iota puisque la législation de la dictature est restée en vigueur ; et elle l’est toujours même si le président actuel ne cesse de claironner son intention de rétablir sa souveraineté dans le pays. Pire, il n’arrête pas dans le même temps de réclamer son souci d’être juste, assurant que la loi est à appliquer à tous, sans distinction ; or, la loi elle-même, bien que légale, est déjà injuste car scélérate, ayant servi au maintien de la dictature ; elle est donc illégitime. Car il ne faut pas oublier que les textes liberticides du droit positif en Tunisie sont non seulement ceux de la dictature (dont la honteuse loi 52 réprimant sauvagement le cannabis et martyrisant les jeunes), mais aussi un héritage de la colonisation (dont le fameux article 33 du Code pénal réprimant l’homosexualité qui n’a jamais constitué un péché en Islam pur).

    Aussi le coup de force du 25 juillet 2021 fut-il salué par le peuple comme une délivrance. On se remit à espérer que ce qui ne fut pas fait en 2011 le sera. Et on faisait confiance à son auteur qui avait été porté au pouvoir par une majorité écrasante et qui avait la réputation d’honnêteté et dont les mains étaient propres en un pays mité par la corruption. Une bonne partie de la classe politique a aussi salué l’entreprise, entamée au demeurant en conformité avec la Constitution.

    Toutefois, ce qui ne manque pas de surprendre, c’est que personne n’a réclamé l’abolition de la législation qui brimait et brime le peuple ou à tout le moins demandé l’adoption d’un moratoire à l’application de ses plus perfides dispositions dans l’attente de voter des textes de substitution. Il faut croire que les opposants au président Saïed étaient et restent trop obnubilés par le pouvoir et ses aficionados par leurs règlement de comptes avec les islamistes pour se soucier de ce que réclame le peuple : ses droits au quotidien et ses libertés privatives, intimes y compris. Pour les premiers, c’est d’autant plus incompréhensible que de telles lois scélérates sont appliquées pour harceler tant le peuple que la classe politique qui crie à la dictature de Saïed. Pour les seconds, une telle pulsion de vengeance d’ennemis politiques dénote leur degré d’adhésion à une vraie démocratie.

    Aussi, le retournement tragicomique de l’histoire a voulu que l’ennemi des uns et le héros des autres n’a fait qu’appliquer des lois que les anciens politiques au pouvoir ont tout fait pour garder en vigueur ; ce faisant il n’a fait qu’emboîter le pas à ceux qu’il dénonçait et punissait. Ainsi, le premier coup d’État, qui a trahi sa justification, a généré un autre n’en étant pas le contrecoup du peuple espéré, perdant de la sorte sa légitimité populaire avérée à son occurrence, tout comme pour le premier.

    Une démocratie introuvable

    Parler donc de combat pour la démocratie chez les uns et les autres, notamment de la part des opposants au président Saïed, relève moins du sérieux que du subterfuge. Tous luttent pour le pouvoir et rien d’autre. En effet, qu’est-ce qu’une démocratie sinon des lois et des libertés, pas seulement théoriques, inscrites dans des textes jamais appliqués. La dictature n’est pas non plus une opération électorale vidée de tout sens, étant ignorée, sinon boycottée, par les plus larges masses. Ce qui fut le cas des élections législatives, notamment la dernière voulue par M. Saïed, qui prouvent que rien n’a changé encore dans le pays. De fait, une démocratie honnête et véridique en Tunisie consiste à commencer par débarrasser le peuple de tout ce qui l’empêche de vivre paisiblement et dignement sa vie. Outre les lois scélérates de la dictature, cela implique aussi qu’on lui reconnaisse son droit à circuler librement.

    Or, que fait M. Saïed ? On le voit certes se soucier de la corruption, cette hydre qu’il n’est pas facile de vaincre et se soucier de ce qui est nettement plus facile à faire, édicter le texte salutaire libérant le peuple de ses chaînes légales ! Bien pis ! involontairement peut-être, il a suscité une bien malheureuse polémique sur la présence des subsahariens en Tunisie. Que n’a-t-il plutôt saisi cette occasion pour être le héraut du droit à circuler librement entre les deux rives de la Méditerranée, cause principale de la venue en Tunisie de ces malheureux subsahariens accusés désormais de tous les maux !

    C’est cependant ce qu’on se doit de faire si l’intention affichée par le président Saïed est avérée, à savoir d’être juste de voix et de voie. Et ce d’autant mieux que l’antidote aux problèmes de la migration clandestine et à ses drames existe bel et bien : le visa biométrique de circulation. Outil parfaitement sécurisé, connu dans les chancelleries, il devrait être substitué au visa actuel devenu obsolète étant respectueux des réquisits sécuritaires. Concrètement, il consiste à délivrer gratuitement en contrepartie de la levée des empreintes digitales, suprême concession sans contrepartie, le droit de circuler librement aux ressortissants des pays dits à tort d’émigration, car ils ne deviennent immigrés qu’à cause de l’impossibilité pour eux de circuler librement. Un tel visa de circulation valable un an au moins et renouvelable par tacite reconduction permettra d’entrer en Europe mais avec l’obligation d’en sortir avant trois mois consécutifs de séjour avec toutefois la possibilité d’y revenir aussitôt pour un nouveau séjour de la même période et avec la même exigence durant la validité du visa.

    Voilà, entre autres, une recette utile au service du peuple tunisien, de la paix et de la démocratie en Tunisie et en Méditerranée ; et elle traduit une adhésion à l’esprit et à la lettre de la démocratie voulue dans ce pays, un régime de dignité avec des droits et des libertés citoyens et non une fausse et introuvable démocratie. C’est ce dont devraient parler et pour laquelle pourraient agir tant le président Saïed que les cercles de son opposition qui dénoncent sa dictature sans être crédibles, le peuple n’ayant rien vu des deux bords qui soit susceptible de changer sa vie au quotidien, une existence de misère du fait de l’absence de la dignité d’être un peuple vraiment souverain, et non seulement en termes de slogans, étant doté de ses droits basiques et de ses libertés privatives les plus évidentes.

    L’impératif catégorique de la réforme juridique et religieuse

    Que se passe-t-il donc en Tunisie, au final ? Coup d’État de Kaïs Saïed ? Ce ne serait alors que la réplique d’un autre coup d’État tu et qui ont tous les deux eu l’adhésion populaire avant que, pour le premier, la déception ne soit totale et, pour le second, le désenchantement ne soit encore de mise. Pour les deux événements, on a effectivement agi au nom d’un peuple qui en espérait gros pour sa dignité, mais pour finir de ne point satisfaire ses attentes. La preuve ? on l’a dit : le maintien en vigueur encore de la législation qui le brime de la dictature que tout un chacun condamne.

    Est-ce que l’homme fort actuel du pays règle ses comptes avec ses opposants ? N’est-il pas plutôt en train d’appliquer la législation liberticide en vigueur que ses opposants, qui étaient bien au pouvoir durant la décennie passée, ont veillé à garder pour se servir et brimer leurs propres opposants ?

    Quid enfin de la démocratie qu’on bafouerait et du modèle tunisien qu’on tue ? De quelle démocratie parle-t-on ? On l’a vu, le peuple est dans la même situation que sous la dictature car il n’a vu l’adoption, au mieux, que de textes et initiatives de pure forme, les élections libres étant contrôlées par des partis sans programme ni véritable assise populaire en dehors de leurs adhérents, leurs sympathisants et obligés. D’ailleurs, le record historique d’abstention à la dernière manifestation électorale ne vient pas de nulle part, il ne fait que confirmer le désintérêt populaire massif pour la chose publique telle qu’elle a été incarnée la dernière décennie par une classe politicienne qui était en total décalage avec les réalités du pays, coupées du peuple, autiste à ses attentes les plus légitimes.

    La responsabilité de ce qui se passe aujourd’hui est donc assumée par toute la classe politique, celle au pouvoir aujourd’hui certes mais surtout celle qui y a été et qui n’a pas su saisir la chance historique qu’elle devait honorer de transformer le pays en une véritable démocratie. Ainsi, le parti islamiste n’a fait que prétendre être une démocratie musulmane ; il a usé et abusé de slogans creux et de faux semblants, sinon de mensonges. Ce faisant, toute son attention allait au maintien au pouvoir afin de servir ses intérêts tant matériels qu’idéologiques. S’il a eu du talent, ce ne fut pas au service du peuple, mais à avoir les soutiens nécessaires, tant à l’étranger que dans le pays, parmi les supposés démocrates qui ont, de même, pratiqué la politique sans nulles lettres de noblesse.

    Pourtant les exhortations à cesser de jouer un tel jeu malsain n’ont pas manqué et ce dès l’arrivée des islamistes au pouvoir, les exhortant à assumer leur devoir d’ aggiornamento à la fois politique et religieux en s’attelant à l’impératif catégorique de la réforme du pays, notamment sur le plan juridique et religieux. Ils n’y ont point prêté attention, se laissant aller à leur péché mignon qui, il est vrai, ne leur était pas propre, relevant de ce que je nomme « jeu du je », une duplicité assumée en ce qu’ils prenaient pour un théâtre d’ombres, où il est fatal de simuler et de dissimuler, même ce qui relève de l’évidence.

    Quel avenir alors pour la Tunisie ?

    Assurément le meilleur, sa classe politique ayant atteint le pire, toutes tendances confondues, au même moment où son peuple a retrouvé les automatismes de son esprit de contradiction libertaire. On ne peut donc qu’entrevoir une évolution bien meilleure que les derniers événements, tirant profit des vicissitudes de la décennie ratée en autant d’expériences utiles en vue d’une nouvelle tentative démocratique duodécimale.

    Déjà, ce samedi 4 mars 2023, la puissante centrale syndicale a organisé la plus importante manifestation contre le pouvoir en place. D’aucuns y voient un bras de fer entre l’héritière du patriote absolu, amant du peuple que fut Farhat Hached, et le président Saïed dont l’issue sera déterminante pour la démocratie dans le pays. Il faut toutefois se garder de voir les choses en termes de personne, K. Saïed n’étant que le produit du système autoritaire toujours en place qu’on a décrit. Il n’y aura donc de démocratie que le jour où l’on osera réformer ce système en commençant par abolir toutes les lois de la dictature et de la colonisation que les politiques actuels acceptent sans oser les dénoncer.

    Si l’on se décide enfin à quitter le clair-obscur entretenu sur la législation scélérate du pays, notamment les aspects présentés comme ayant une connotation morale et/ou religieuse, et sur lesquels l’on se tait pudiquement ou s’interdit de gloser, on fera enfin le pas décisif fatal vers la démocratie. Car, répétons-le, celle-ci n’est que l’octroi de ses droits et libertés au peuple, tous ses droits et toutes ses libertés sans nulle restriction idéologique ou supposée religieuse.

    Ce qui impose par la même occasion d’avoir le courage enfin d’ouvrir la voie à une nouvelle exégèse de l’islam afin de renouer avec son esprit et ses visées véritables puisque, dans sa lecture pure, il est une foi de droits et de libertés. D’ailleurs la nouvelle Constitution voulue par M. Kaïs Saïed, encore plus que la précédente, réfère à cette religion du peuple en imposant d’en appliquer les valeurs. Ce qui constitue, par conséquent, le noeud gordien de la moindre réforme dans le pays, non seulement en termes religieux, mais aussi politiques, économiques et juridiques, l’islam n’étant pas qu’une religion, étant tout autant une politique, une philosophie de vie. C’est pour cela qu’il importe de reconnaître cette dimension éminente de l’islam qui est loin d’être pur culte, étant d’abord une culture avant d’être que simples rites.

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      « Les Machiavéliens » de Burnham, une lecture libérale (III)

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 26 February, 2023 - 03:30 · 7 minutes

    Par Finn Andreen.

    La première partie de l’article se trouve ici
    La seconde partie de l’article se trouve ici

    Si les tendances oligarchiques du système démocratique étaient déjà bien comprises au début du XXe siècle par les machiavéliens, leurs conclusions n’ont malheureusement pas été retenues, même par la plupart des politologues. Cela n’est pas étonnant puisque la majorité n’a jamais pris connaissance des travaux de ces penseurs. Leurs noms sont très rarement cités, que ce soit dans l’enseignement secondaire ou à l’université.

    Ni le livre de Burnham ni ceux des machiavéliens ne sont aussi connus qu’ils devraient l’être. Ils sont aujourd’hui difficiles à acquérir. Celui de Burnham est sorti récemment dans une nouvelle édition anglaise mais n’avait pas été publié depuis 1964 en langue originale. Le chef-d’œuvre de Gaetano Mosca, La Classe Dirigeante vient d’être réédité en français pour la première fois depuis longtemps et n’a pas été republié en anglais depuis des décennies. Il ne peut être acheté que d’occasion pour des centaines de dollars. Le magnum opus de Robert Michels, Partis politiques , ne peut être acheté qu’en réimpression (en anglais), car il semble qu’il n’y ait pas d’édition récente de cet ouvrage dans cette langue.

    Au risque de sembler conspirationniste, l’accès difficile à ces œuvres et l’ignorance des idées des machiavéliens ne sont peut-être pas une coïncidence. Burnham a donné une explication qui, ironiquement, peut s’appliquer directement à son propre ouvrage :

    L’application au public de la méthode scientifique à la politique est entravée par ceux au pouvoir. Ils ne veulent pas que de véritables connaissances politiques soient disponibles, et ils bloquent la liberté d’enquête quand elle menace, comme elle menace si souvent, de saper leur pouvoir. Depuis l’époque des sophistes grecs jusqu’à aujourd’hui, tous ceux qui, par une enquête objective, divulguent une partie de la vérité sur le pouvoir ont été dénoncés par l’opinion officielle comme subversifs. 1

    Aujourd’hui, le filtrage de contenu et la censure d’information sur Internet jugés politiquement sensibles peuvent s’expliquer de cette manière. Le sort de Julian Assange est un exemple flagrant du traitement réservé à ceux qui « divulguent une partie de la vérité sur le pouvoir » dans des systèmes politiques qui se veulent démocratiques.

    Existerait-il un effort plus ou moins concerté pour limiter la circulation des œuvres des machiavéliens de la part de la minorité dirigeante, de peur que ces idées ne se répandent dans la majorité dirigée ? Bien que l’ignorance de la société au sujet des machiavéliens puisse avoir une explication plus prosaïque, il serait utile d’étudier pourquoi leurs œuvres si originales et éclairées ne sont pas plus largement disponibles, et encore moins enseignées.

    Indépendamment de la réponse à cette question, il n’aura pas échappé au libre penseur que la majorité n’a pas la possibilité de prendre conscience de la nature oligarchique de ses démocraties. À  travers l’école publique, elle a été éduquée depuis son plus jeune âge à croire au mythe de la démocratie. Cela peut se comprendre car la plus grande menace pour la minorité au pouvoir, comme l’a noté Burnham, est l’adoption par la majorité de la méthode scientifique d’analyse de la politique.

    Une leçon importante des machiavéliens est donc que l’individu doit se méfier du pouvoir politique même lorsqu’il vit dans une démocratie. Le mythe de la démocratie existe précisément pour que la majorité se contente de ne pas s’impliquer dans les affaires politiques de sa nation, à part se rendre périodiquement dans l’isoloir.

    La tendance au bonapartisme

    La nature oligarchique des systèmes politiques explique pourquoi dans une démocratie les actions des branches exécutive et législative sont souvent très différentes des programmes politiques sur lesquels elles ont été élues. Ce déficit démocratique est particulièrement évident dans les systèmes présidentiels où le président est élu au suffrage universel.

    Comme dans un tel système le président est élu directement par le peuple, il est souvent perçu, par lui-même et par d’autres, dans les mots de Burnham, comme « l’incarnation la plus parfaite de la volonté du groupe, du peuple ». 2 Ainsi, selon le mythe de la démocratie, non seulement le président a la légitimité de gouverner mais il ne peut être blâmé car il n’est qu’un instrument de la quasi sacrée volonté du peuple.

    Parce que son élection est confirmée par le peuple, il peut justifier ou excuser presque n’importe quelle action politique, y compris celles qui lui permettent d’augmenter ses chances de rester au pouvoir. Ces méthodes consistent souvent à utiliser le pouvoir de la fonction présidentielle pour soutenir sa réélection, pour affaiblir l’opposition et influencer le pouvoir judiciaire. De tels actes ne sont pas nécessairement anticonstitutionnels ou illégaux et, en tout état de cause, le président jouit de l’immunité du poste.

    Enchâssé dans le système démocratique lui-même, il y a donc une tendance à l’autoritarisme, que les machiavéliens désignaient sous le terme de bonapartisme . Napoléon s’est couronné Empereur, mais Empereur des Français, pas de la France. C’est-à-dire que la légitimité du chef de l’État provenait dès lors non pas d’en haut, de droit divin, mais d’en bas, du peuple. Cela s’exprime encore plus clairement avec le deuxième Bonaparte à gouverner la France, Napoléon III, qui prétendit avec astuce qu’il était « simplement l’organe exécutif de la volonté collective manifestée lors des élections ». 3

    Dans ce contexte, pour quiconque qui suit la vie politique aujourd’hui, il est difficile de nier la véracité du passage suivant de Burnham :

    Les dirigeants ne sont plus personnellement responsables de leurs actes : ils peuvent aller en guerre, persécuter, voler, violer les libertés, ne pas se préparer aux crises sociales ou militaires, et ne jamais être mis en cause pour quelque crime ou échec que ce soit ; ils diraient qu’ils n’ont fait que réaliser la volonté du peuple. 4

    Poussé à l’extrême, comme le dirigeant démocratiquement élu « personnifie la majorité, toute résistance à sa volonté est anti-démocratique . » 5 Il y a des signes évidents de ces tendances aujourd’hui. L’intolérance à l’égard des opinions minoritaires et même la censure des opinions qui ne sont pas considérées comme démocratiques sont en augmentation depuis plusieurs années dans plusieurs démocraties occidentales.

    Le cas du referendum

    Le référendum est un exemple où les démocraties modernes sont déjà bonapartistes. En effet, le référendum est souvent utilisé pour donner un sceau de légitimité à des décisions politiques qui ont déjà été prises par le gouvernement, sans l’implication ou l’assentiment de la population.

    Comme Burnham écrivit :

    L’usage le plus visible du référendum… est dans le plébiscite bonapartiste… où le vote attache la fiction de la volonté populaire à ce qui a déjà été décidé dans les faits historiques. 6

    En général, la minorité dirigeante obtient à l’avance le résultat souhaité du référendum. Si malgré tout le résultat n’est pas celui souhaité par celle-ci, ce résultat du scrutin est généralement ignoré ou bien le vote s’organise une deuxième fois afin d’obtenir le bon résultat. Il y a plusieurs récents exemples de cela, en France et ailleurs .

    Ainsi, le problème de la démocratie représentative par rapport aux autres systèmes politiques n’est pas qu’elle ne représente pas le peuple – ce n’est le cas d’aucun système politique – mais qu’elle est considérée comme un système politique légitime à tel point que même de nombreux régimes manifestement non démocratiques ont ajouté démocratique à leur nom officiel. Les démocraties modernes ne peuvent évidemment pas tenir la promesse utopique du pouvoir du peuple, et cela commence à devenir de plus en plus évident pour la majorité dirigée.

    La crise de légitimité de la démocratie est bien sûr aussi aggravée par d’autres difficultés bien connues du processus démocratique, qui ne sont pas directement liées à la science politique machiavélienne ; tel que le concept de la tyrannie de la majorité , et d’autres aspects .

    Les difficultés inhérentes à la démocratie représentative et la tendance au bonapartisme présentées ici contribuent donc à expliquer les tensions politiques et l’instabilité sociale que connaissent les démocraties modernes. Burnham propose dans son dernier chapitre une solution à ces problèmes de démocratie.

    Dans la prochaine partie, cette solution sera revue et comparée aux propositions libérales pour faire face à ce dilemme du système démocratique.

    Article publié initialement le 21 octobre 2021 .

    1. Burnham, J., The Machiavellians: The Defenders of Freedom, 2nd edition, Gateway, 1964, p290.
    2. Ibid. p179.
    3. Ibid. p178.
    4. Ibid. p296.
    5. Ibid. p179.
    6. Ibid. p182.
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      Corruption et guerre : deux fléaux qui se nourrissent l’un de l’autre

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 6 February, 2023 - 03:40 · 6 minutes

    Par Bertrand Venard .

    L’ONG Transparency International vient de publier son palmarès des pays du monde selon le niveau de corruption perçue en 2022 .

    L’étude de ce document confirme une fois de plus les liens étroits qui existent entre le degré de corruption d’un pays et le risque que ce pays soit engagé dans une guerre, extérieure ou civile. Dans un cercle vicieux inextricable, un pays plongé dans un conflit voit aussi son niveau de corruption croître.

    Comment est évaluée la corruption dans un pays ?

    Depuis sa création en 1995, l’ Indice de perception de la corruption (IPC ) est devenu le principal indicateur, à l’échelle mondiale, de la corruption dans le secteur public.

    Il permet de classer 180 pays et territoires plus ou moins corrompus, en utilisant des données provenant de 13 sources externes dont celles de la Banque mondiale , du Forum économique mondial, de sociétés privées de conseil et de gestion des risques, de groupes de réflexion et autres.

    Les scores attribués – sur une échelle allant de zéro (0 = forte corruption) à cent (100 = aucune corruption), en fonction du degré de perception de la corruption dans le secteur public – reflètent l’opinion d’experts et de personnalités du monde des affaires.

    Indice de perception de la corruption 2022. Cliquer pour zoomer.
    Transparency International , CC BY-NC

    La corruption ronge les États…

    La médaille d’or au concours des pays les plus corrompus vient d’être remise à la Somalie, suivie du Soudan du Sud, de la Syrie, du Venezuela, du Yémen, de la Libye, du Burundi, de la Guinée équatoriale, de Haïti, et de la Corée du Nord.

    Détentrice du titre peu envié de pays le plus corrompu de la planète depuis 2007, la Somalie a plusieurs points communs avec ses challengers liés à leur haut niveau de corruption.

    Les pays très corrompus sont caractérisés par une grande faiblesse de l’État. La Somalie n’a quasiment plus d’État. Depuis 30 ans, elle a connu deux guerres civiles, des famines catastrophiques , des interventions internationales ratées , des flux de réfugiés , des morts par centaines de milliers, la corruption entraînant une absence continue de services et d’institutions étatiques même rudimentaires.

    Les Somaliens vivent dans un environnement de prédations , de menaces omniprésentes et de privations, cette insécurité impliquant des comportements de survie, comme le recours à la corruption pour avoir accès à de la nourriture ou à des médicaments.

    La faiblesse d’un État détérioré par la guerre et la corruption se manifeste aussi au niveau du système judiciaire. Quand l’État est déstabilisé, c’est la loi du plus fort qui s’applique et le plus corrompu peut avoir gain de cause dans un procès, même s’il est coupable. C’est ainsi le cas de la Syrie , deuxième sur la liste (à égalité avec le Soudan du Sud), où l’enchevêtrement de la corruption et de la terrible guerre civile a fait du système judiciaire une jungle où gagnent ceux qui corrompent le mieux les juges .

    Naturellement, la corruption entraîne une perte de confiance des populations dans les institutions publiques, détruisant la moindre considération dans le système politique , ce qui accroît le risque d’une chute dans la violence politique, comme on le constate notamment au Venezuela , classé quatrième, qui s’est retrouvé ces dernières années au bord de la guerre civile .

    … tue la démocratie…

    La corruption détériore le système démocratique par différents biais : les populations reçoivent de l’argent pour voter en faveur du pouvoir, les commissions électorales sont achetées pour proclamer des plébiscites en faveur des dirigeants en place, les candidats indépendants sont menacés et même parfois assassinés…

    Ainsi, le Soudan du Sud, deuxième du classement, est un cauchemar démocratique . Ce pays indépendant depuis 2011 et dévoré par la guerre civile depuis 2013 est le théâtre de violations permanentes des droits de l’Homme : arrestations arbitraires, détentions illégales, tortures, meurtres… Avec la guerre, l’insécurité s’accroît et la corruption se développe encore plus.

    En outre, la corruption détruit la liberté de la presse . Dans des pays très mal classés en termes de liberté de la presse , comme la Corée du Nord ou la Russie, la propagande des autorités se déploie sans que le moindre désaccord ne puisse être formulé dans l’espace public, ce qui laisse se propager le discours belliqueux des dirigeants et les agressions se multipliaient.

    Pays particulièrement corrompu, le Yémen, cinquième au classement établi par Transparency International, est ravagé par la guerre depuis 2014 – un conflit alimenté par la sous-information des populations du fait d’une presse aux ordres des acteurs qui contrôlent les diverses zones du pays. L’ONG Reporters Sans Frontières présente ainsi la situation du pays : « Les médias yéménites sont polarisés par les différents acteurs du conflit et n’ont d’autre choix que de se conformer au pouvoir en place, en fonction de la zone de contrôle dans laquelle ils se trouvent, sous peine de sanctions. »

    … et accroît les inégalités économiques

    Enfin, dans une nation où règne la corruption, une petite minorité accapare la richesse nationale , la corruption pouvant être définie comme « l’utilisation de son pouvoir personnel à des fins d’intérêts privés contre l’intérêt collectif ».

    Quand l’injustice sociale règne, les tensions économiques se développent, ce qui crée un terreau particulièrement favorable à la guerre civile. Le Soudan du Sud a été ainsi dépeint comme une kleptocratie , un système dans lequel la classe dirigeante s’approprie les ressources publiques pour son propre profit au détriment du bien-être public.

    L’histoire d’Haïti est également parsemée de despotes, comme la famille Duvalier , qui ont mis en place un système de prédation économique visant à les enrichir au détriment de leur population.

    Cercle vicieux

    Au final, un cercle vicieux s’est installé qui débute par la corruption, impliquant des tensions permanentes puis des conflits et par suite davantage de crimes et de guerres.

    Comme le montre le dernier indice de corruption de Transparency International, les pays les plus corrompus sont tous des pays instables économiquement, politiquement et socialement. Si tous ne sont pas en guerre, tous sont, selon des modalités différentes en crise profonde.

    Au fil des conflits, toutes les institutions de gouvernance ont été détruites. L’insécurité incite à se livrer à tous les trafics. Sans institutions de contrôle, un sentiment d’impunité totale s’installe et la corruption devient systémique. La diffusion de la corruption en fait alors une norme sociale : « corrompre, c’est la seule manière de survivre », pourraient s’exclamer en chœur les populations des pays les plus corrompus… The Conversation

    Bertrand Venard , Professor, Audencia

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original .

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      « Les Machiavéliens » de James Burnham, une lecture libérale (I)

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 29 January, 2023 - 03:30 · 11 minutes

    Par Finn Andreen.

    Bien que Les Machiavéliens : défenseurs de la Liberté fut publié en 1943, c’est un livre qui mérite une attention continue. Pourtant, cet important ouvrage du politologue James Burnham (1905-1987) reste méconnu du grand public et parfois même des universitaires. Jusqu’à tout récemment, la seule autre édition en anglais fut publiée en 1964. Ce livre n’a pas été traduit en français depuis 1949.

    Une recension des idées des penseurs machiavéliens est opportune en raison de la clarté politique qu’elles peuvent apporter aux jeunes adultes d’aujourd’hui, surtout à une époque où le modèle démocratique est soumis à des crises de légitimité dans de nombreux pays.

    En effet, les principaux enseignements de cette œuvre de Burnham sont particulièrement pertinents aujourd’hui. Ils concernent surtout les organisations politiques et leurs implications pour la démocratie moderne en tant que système politique viable et stable.

    Cette recension examinera également les lacunes de la pensée politique machiavélienne d’un point de vue libéral, à savoir une théorie de l’État peu développée et la faible définition de la liberté que présente Burnham. Ces lacunes empêchèrent Burnham de proposer des solutions pertinentes aux problèmes politiques inhérents à la démocratie.

    Les machiavéliens présentent des idées qui sont restées en marge de la théorie politique dominante tout au long du XXe siècle. Encore aujourd’hui, elles ne correspondent pas à l’idée plutôt satisfaite que l’ Occident se fait de lui-même en tant qu’incarnation réussie de démocratie et d’égalitarisme. Les auteurs machiaveliens ne sont généralement jamais présentés aux étudiants en science politique, ce qui rend pratiquement certain que leurs idées resteront largement inconnues.

    Une science de la politique

    Beaucoup connaissent de façon anecdotique les conseils politiques que Machiavel donna au Prince, mais n’imaginent pas que cela a conduit ensuite à ce que Burnham a nommé, « une tradition distincte de la pensée politique » qui est aujourd’hui aussi pertinente que jamais 1 .

    L’approche machiavélienne de la politique est dépassionnée et réaliste. Elle est machiavélienne car elle n’a pas d’agenda politique, ce qui peut être perturbant pour certains : c’est une méthode qui ne juge pas si un régime politique est bon ou mauvais. Elle se contente d’observer de loin les affaires des hommes, notamment en tant que membres d’organisations politiques, et en tire des conclusions.

    Machiavel lui-même n’était pas tout à fait aussi scientifique que la méthode qui porte aujourd’hui son nom, son travail était influencé par son époque et par la situation personnelle dans laquelle il se trouvait. Cependant, son œuvre reste révolutionnaire pour l’époque, par sa sincérité et son objectivité sur le pouvoir et la politique, par exemple par opposition à Dante.

    En effet, Burnham commença son livre par une comparaison entre Dante (« La politique comme désir « ) et Machiavel (« La science du pouvoir « ) afin de montrer comment l’écriture de ce dernier était fermement ancrée pour la première fois dans la réalité de la politique.

    Burnham s’est donc concentré sur la tradition politique machiavélienne, pas sur l’homme lui-même. Bien que la vision de Machiavel de la politique soit le point de départ, la tradition politique machiavélienne a été principalement développée par les penseurs qui ont tout à fait consciemment marché dans ses pas.

    Ainsi, Burnham passe en revue dans ce livre les contributions clés de chacun des penseurs machiavéliens. Elles sont clairement présentées, un par chapitre : Gaetano Mosca (1858-1941), George Sorel (1847-1922), Robert Michels (1876-1936), et Vilfredo Pareto (1848-1923).

    Burnham résume admirablement les idées de ces penseurs et les relie afin de faire émerger la science politique machiavélienne.

    Ces penseurs avaient en commun le fait qu’ils voyaient tous « le sujet de la politique comme la lutte pour le pouvoir social », quel que soit le type de régime politique 2 . Burnham a également identifié l’« anti-formalisme des machiavéliens, leur refus de prendre pour argent comptant les mots, les croyances et les idéaux des hommes 3 ».

    Ils étaient fermement convaincus qu’il fallait toujours faire preuve de scepticisme à l’égard des messages politiques et plutôt s’efforcer de découvrir les motivations et les intérêts réels qui les sous-tendent. En effet, l’idée de Sorel sur le rôle du mythe en politique est à cet égard importante car elle permet aux dirigeants politiques d’influencer les masses politiquement désintéressées.

    Il est intéressant, mais peut-être pas surprenant, de noter qu’aucun des penseurs machiavéliens n’était de tradition politique anglo-saxonne ou germanique (Michels était allemand mais a passé sa vie en Italie). Deux d’entre eux étaient, comme Machiavel lui-même, italiens.

    Sans doute, les penseurs dont la culture politique a été fortement impactée par des millénaires de luttes de pouvoir et de machinations politiques sophistiquées, ont peu de foi dans le progrès politique de l’humanité. Les machiavéliens pourraient ainsi être qualifiés de réalistes, voire de cyniques, n’ayant aucune illusion sur la politique et l’exercice du pouvoir.

    Pour le meilleur et pour le pire, les machiavéliens manquent d’innovation en théorie politique – et ceci consciemment – puisqu’ils n’ont aucune prétention à proposer quoi que ce soit de nouveau ou de mieux. Burnham les qualifie de « pessimistes sociaux » : il y a en effet une nette tendance pessimiste à la pensée machiavélienne, exprimée ouvertement par Sorel.

    La pensée politique machiavélienne n’est pas normative mais pratique. C’est une science politique, mais pas une philosophie politique, car elle ne repose sur aucun ensemble de principes éthiques directeurs. C’est une analyse sans valeur du pouvoir politique, n’ayant ni idéologie ni objectif politique.

    D’une part, cette objectivité dans l’analyse de la politique est louable et rare, et a permis à ces penseurs de découvrir des vérités politiques que d’autres penseurs, plus biaisés idéologiquement, n’ont pas. Mais d’autre part, cette approche scientifique de l’observateur objectif et dépassionné rend difficile l’apport de solutions aux problèmes politiques que cette même science expose si brillamment.

    Les machiavéliens ont dévoilé des principes sociologiques et psychologiques fondamentaux à propos des organisations et du pouvoir politique. Burnham a explicitement énuméré ces principes au début de son chapitre final.

    Selon lui, ils « constituent une manière de voir la vie sociale, un instrument d’analyse sociale et politique » , que les politologues modernes feraient bien de prendre en compte s’ils veulent analyser correctement la politique 4 . Les plus importants de ces principes sont présentés dans les passages qui suivent.

    La loi d’airain de l’oligarchie

    La pensée politique machiavélienne commence par l’idée, intuitivement évidente, que toutes les organisations humaines ont besoin de chefs. En particulier, les hommes et les femmes qui évoluent pour devenir les dirigeants d’organisations politiques sont, selon les mots de Burnham, « ceux qui prennent au sérieux la lutte pour le pouvoir 5 ». Ils ont tendance à avoir certaines qualités personnelles spécifiques, comme des compétences politiques très développées, une intelligence aiguë, ainsi qu’une grande motivation et capacité de travail.

    Avec le temps, les intérêts des dirigeants ont naturellement tendance à diverger de la base dans une organisation politique où tous ont commencé au même niveau. Quelqu’un qui consacre une partie importante de son temps et de ses efforts (et parfois même de sa fortune personnelle) à une organisation, s’attend naturellement à en tirer plus d’avantages que quelqu’un qui participe en tant que membre passif à temps partiel. Les dirigeants auront également tendance à être affectés psychologiquement et se distinguer des autres membres à mesure qu’ils prennent goût au pouvoir.

    Michels a montré dans son étude magistrale sur les partis politiques , qu’il y a des raisons techniques pour lesquelles aucune organisation ne peut se développer elle-même, encore moins prospérer, sans qu’un petit sous-groupe ne prenne les décisions et la responsabilité de l’ensemble de l’organisation.

    La taille et la complexité considérables d’une organisation mature empêchent naturellement tous ses membres d’être impliqués de manière égale dans le processus de décision. L’organisation est obligée d’introduire une division du travail entre les membres, car la diversité et la complexité croissantes des tâches nécessitent de la spécialisation.

    Progressivement, deux groupes distincts tendront à émerger au fur et à mesure qu’une organisation grandit et mûrit : une minorité organisée et bien informée qui dirige l’organisation, et une majorité non coordonnée et non informée, composée du restant de ses membres.

    Au fil du temps, cette minorité aura tendance à représenter de moins en moins la majorité et à suivre plutôt sa propre ligne de conduite, indépendamment du pot-pourri de souhaits émanant de la majorité de l’organisation. Autrement dit, cette minorité deviendra oligarchique .

    Il faut ici faire une distinction que Burnham ne fait pas, entre l’organisation commerciale et l’organisation politique. L’existence de minorités dirigeantes ne pose pas de problèmes aux entreprises commerciales car elles sont légitimement contrôlées par leurs dirigeants et propriétaires. Contrairement aux organisations politiques, il n’y a pas d’ambiguïté ou de secret en ce qui concerne le contrôle d’une organisation commerciale.

    Les études historiques et sociologiques importantes effectuées par les machiavéliens montrent que toutes les organisations politiques sont dirigées par des minorités oligarchiques organisées, plutôt que par des majorités désorganisées à volonté démocratique.

    Ainsi, la fameuse loi d’airain de l’oligarchie de Michels énonce que quelle que soit leur idéaux et leur ferveur initiale, toutes les organisations politiques deviennent oligarchiques au fur et à mesure qu’elles se développent et mûrissent. Le pouvoir s’éloigne progressivement de la masse des membres, et se concentre chez un petit nombre d’individus au sommet.

    La classe dirigeante et la circulation des élites

    La loi d’airain de l’oligarchie s’applique aussi bien sûr à la plus grande des organisations politiques, à savoir le système politique d’une société.

    Résumant Mosca, Burnham écrit :

    L’existence d’une classe dirigeante minoritaire est, il faut le souligner, une caractéristique universelle de toutes les sociétés organisées dont nous avons une trace. Elle est valable quelles que soient les formes sociales et politiques, que la société soit féodale ou capitaliste ou esclave ou collectiviste, monarchique ou oligarchique ou démocratique, quelles que soient les constitutions et les lois, quelles que soient les professions et les croyances 6 .

    Cette règle inclut donc également les « démocraties libérales » modernes, ce qui contribue à expliquer les tensions politiques qui existent aujourd’hui dans ces systèmes, un point qui sera élaboré dans la prochaine partie de cette revue.

    Cependant, la structure du pouvoir composée d’une minorité dirigeante et d’une majorité dirigée, n’est jamais complètement stable. Mosca a montré avec beaucoup de détails historiques dans son chef-d’œuvre, La classe dirigeante , comment l’élite politique est reproduite et renouvelée, parfois de façon drastique, pour maintenir son emprise sur le pouvoir.

    Pour reprendre les mots de Burnham :

    Les leçons de l’histoire montrent qu’une classe dirigeante ne peut que rarement rester longtemps au pouvoir si elle n’est pas prête à ouvrir ses rangs à des nouveaux membres, capables et ambitieux, venant d’en bas 7 .

    En tant que Sicilien, Mosca aurait certainement été d’accord avec le fameux bon mot du Prince Tomasi di Lampedusa à propos de la classe dirigeante locale : « Se vogliamo che tutto rimanga com’è, bisogna che tutto cambi . » (« Si nous voulons que tout reste tel qu’est, il faut que tout change »).

    En effet, il est normal que la direction d’une organisation politique soit régulièrement contestée par des rivaux avides de pouvoir. En pratique, cela peut se produire rapidement et sans pitié, comme lors de révolutions ou de coups d’État, ou lentement et pacifiquement, comme lorsque des dirigeants politiques et des administrations changent en raison d’un changement de génération ou d’une pression politique croissante.

    Ce processus de « Circulation des élites « , identifié par Pareto, est sain et nécessaire à la survie de l’organisation. Il est parfois considéré comme tel même par des parties éclairées de la minorité dirigeante, car, comme l’a dit Burnham, elle est « une protection contre la dégénérescence bureaucratique, un frein aux erreurs et une protection contre la révolution 8 ».

    En d’autres termes, les systèmes politiques les plus performants et les plus stables sont ceux qui permettent et même adoptent ce mouvement, selon lequel les dirigeants de la société sont progressivement remplacés à mesure que les nouveaux dirigeants rejoignent ceux qui sont établis. La société anglaise est un bon exemple de cela.

    Malgré ce processus de renouvellement des élites, la tendance naturelle et constante de tous les systèmes politiques à évoluer vers un régime oligarchique pose évidemment un dilemme particulier pour les démocraties. Ce point a également reçu beaucoup d’attention de Burnham et sera étudié plus en détail dans la prochaine partie.

    À suivre

    Article publié initialement le 15 octobre 2021

    1. Burnham, J., The Machiavellians: The Defenders of Freedom , 2nd edition, Gateway, 1964, p251.
    2. Ibid. p131.
    3. Ibid. p131.
    4. Ibid. p251.
    5. Ibid. p262.
    6. Ibid. p262.
    7. Ibid. p. 301.
    8. Ibid. p302.
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      Les trois égarements de la démocratie

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 28 January, 2023 - 04:00 · 3 minutes

    La démocratie n’a pas toutes les vertus qu’on lui prête habituellement ; encore convient-il de la définir avec précision, car « les mots sont traîtres et finissent par désigner des réalités bien différentes de celles qu’on leur avait auparavant assignées » Ainsi des dictatures ont-elles été appelées « républiques démocratiques ».

    Au-delà de ces extrêmes la démocratie contemporaine se fourvoie de trois manières.

    Les dérives de la démocratie

    La première consiste à croire, comme le faisait Jean Baechler, que la démocratie est un système inné dans l’être humain : démocratie « anthropologique », « le naturel se trouve naturellement réalisé ».

    Ainsi la démocratie ne serait-elle qu’une transposition au niveau du grand nombre des relations qui unissent les Hommes : ils ont connu « le face-à-face perpétuel et le coût nul des coalitions ». Cet optimisme a été celui des Occidentaux quand ont disparu un certain nombre de dictatures : la démocratie s’imposera d’elle-même, naturellement.

    Chantal Millon s’élève contre cette naïveté : « Il semble bien que la nation ne soit pas nature, mais culture ».

    Certes la culture peut s’exporter : certains pays feront l’économie d’un apprentissage culturel 1 .

    « Cela signifie d’abord que nous ne pouvons pas exporter la démocratie comme on passe à un ami une application informatique, ou comme on lui prête une clé à molette. Cela signifie ensuite qu’il nous faut constamment faire l’effort de maintenir la démocratie chez nous, car si on cesse de la surveiller, elle retombera inévitablement dans l’ autocratie ou dans la hiérocratie. »

    « Le deuxième égarement consiste à vouloir étendre à l’infini les catégories, ou les « vertus » de la démocratie ».

    Puisque la démocratie c’est la liberté et l’égalité, mettons de la liberté et de l’égalité partout : faisons voter les écoliers, que les soldats élisent les officiers, qu’il n’y ait plus de chef de famille ou de professeur. La démocratie comme « souveraineté du peuple » ne s’applique qu’au sein de la grande société dont on suppose que tous les membres sont dotés d’une dose de raison comparable, et n’ont pas à être particulièrement compétents. À l’inverse, « dans les petites sociétés, les décisions sont en général affaire de maturité (la famille) ou de compétences (armée, école, entreprise etc.). »

    Dans les « démocraties extrêmes » (Dominique Schnapper) contemporaines, la liberté et l’égalité se croient sans limites intrinsèques. Le courant woke représente une démocratie déréglée où l’on réclame l’égalité et la liberté pour toutes les minorités quelles qu’elles soient, quels que soient leur mérite, leurs revendications, et même leur absurdité – tout cela au nom de la démocratie. »

    Le troisième égarement est certainement le plus grave.

    Il consiste à soumettre toute question importante à la foule des gens ordinaires. Mais pourquoi les gens ordinaires seraient-ils, par leur seule masse, capables de trancher des questions importantes ? Le dérapage est vite présent : le peuple allemand face à Hitler. Aujourd’hui, aux États-Unis, on en arrive à considérer comme démocratique toute proposition « progressiste » (par réaction contre le conservatisme de Trump).

    « La vraie démocratie ne serait plus le régime de la souveraineté populaire, mais le régime qui accepte les idées progressistes. Viktor Orban, parce qu’il a inscrit dans sa constitution que le mariage est un contrat entre un homme et une femme, et autres décrets du même genre, n’est plus considéré en Europe comme un démocrate – quoique ces décisions soient portées par la souveraineté populaire. Le gouvernement polonais est considéré comme anti-démocratique, non pas vraiment parce qu’il détourne la justice (ce que font aussi tous nos gouvernements), mais parce qu’il a une idée de l’IVG en particulier et de la famille en général qui n’est pas du tout conforme au progressisme régnant. Par ailleurs, toute une littérature de sciences politiques a vu le jour ces deux dernières décennies, montrant qu’on ne peut plus aujourd’hui accepter n’importe quelle décision populaire – toute décision populaire doit être validée, pour acquérir sa légitimité, par la doxa régnante. »

    Sur le web

    1. Des « autrichiens » comme Hayek ou Mises diraient que la culture consiste aussi à définir des institutions (règles du jeu social) propices à la liberté. Ce progrès institutionnel est le fruit d’un processus évolutif d’essais et d’erreurs. Il n’a rien de « naturel »
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      La trahison politique en démocratie

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 24 January, 2023 - 03:40 · 5 minutes

    Comment en sommes-nous arrivés à des théories aussi étranges que le wokisme , le féminisme radical , la théorie de la continuité sexuelle, l’ antispécisme , le véganisme … ? À considérer comme normal le choix par un enfant de son prénom, de son genre ?… À accepter que les parents ne soient plus père et mère mais « parent 1 et parent 2 » ?

    Ces théories sont en pleine contradiction avec les principes de l’analyse scientifique établis progressivement par les sociologues, philosophes, médecins. Le rejet des traditions immémoriales est celui de la théorie des ethnologues des XIX e et XX e siècles qui expliquent le progrès de l’humanité  par l’ évolution spontanée des mœurs et des règles de justice des sociétés humaines au cours des millénaires.

    Le rôle des États-Unis dans l’extrémisme politique

    Cette folie née dans les universités d’Amérique du nord il y a plus de vingt-cinq ans conquiert maintenant l’Europe des Lumières et la France de Montaigne, Descartes, Voltaire…

    En l’espace de quelques années, l’Union européenne a été atteinte par cette déferlante et par un discours pseudo-rationnel dont les contradictions sont pour le moins surprenantes et même inquiétantes : c’est au nom de l’égalité des cultures que l’on accepte le communautarisme en France , de la lutte contre le racisme qu’on exclut de certaines réunions les Français de race blanche dans leur propre pays, de la liberté d’expression qu’on diffuse dans les collèges des caricatures grossières de Mahomet, de l’histoire officielle que l’on condamne des écrivains, des philosophes, des historiens qui en discutent, de la justice que l’on recherche une mauvaise intention dans « l’impensé de l’inconscient » de l’accusé et que l’on croit sur parole les femmes qui prétendent avoir été violées il y a trente ans ou plus…

    Ce sont des étudiants pétris de certitudes qui dénoncent publiquement leurs enseignants au lieu de débattre avec eux des sujets qui les heurtent. La « résistance civile » destinée à lutter contre les totalitarismes justifie maintenant le refus d’obéir à la loi de la démocratie, mais c’est au nom de la démocratie qu’elle est revendiquée et même subventionnée.

    Les États-Unis connaissent de temps à autre des mouvements sociaux excessifs : la prohibition née des mouvements féministes américains du début du XX e siècle, le maccarthysme provoqué par la guerre froide à partir de 1950 en sont des exemples récents. Les objectifs initiaux de ces mouvements (la lutte contre l’alcoolisme et l’anticommunisme) ont provoqué les abus que l’on connaît : explosion de la délinquance et des trafics d’alcool plus ou moins frelatés, chasse à l’homme au moindre soupçon de sympathie pour le communisme ou à la suite d’une simple dénonciation. Les mouvements actuels sont de même nature : leurs objectifs initiaux sont raisonnables, compréhensibles, justifiés, mais la passion qui s’est emparée d’une frange de la population américaine provoque des réactions et comportements tout autant excessifs que les mouvements évoqués précédemment.

    La puissance économique et culturelle des États-Unis favorise l’exportation de ces mouvements en Europe. Une frange de la population européenne sous leur influence exerce une forte pression sur les journalistes, écrivains, responsables politiques et sociaux, enseignants, chercheurs, magistrats… pour faire triompher ses revendications copiées sur celles de la frange américaine. Elle néglige les différences culturelles, historiques, religieuses, démographiques et sociales entre les deux continents.

    Que pensent les Français du mariage pour tous ? De l’enseignement de la sexualité à l’école ? Des limites de la liberté d’expression ? De la parité homme femme ?

    Toutes ces mesures ont été imposées par le pouvoir politique sous la pression de cette minorité très active. C’est là peut-être une cause de l’abstention massive des électeurs quand on leur demande de s’exprimer, ou du vote pour des candidats accusés d’être extrémistes par les partis qui se prétendent modérés mais qui ne sont que faibles devant ces revendications. Extrémistes, des parents qui refusent que leurs enfants soient incités à changer de sexe, à suivre des régimes alimentaires dangereux, ou qui exercent chacun leur rôle de père et de mère ? Des croyants outrés que leur foi soit tournée en dérision devant leurs enfants en collège ? Des historiens qui manifestent contre les lois mémorielles limitant leurs débats ? Des philosophes qui défendent l’humanisme et la culture chrétienne ? Des académiciens qui protestent contre l’écriture inclusive ? Ce texte même est-il extrémiste ?

    La fin de la rationalité ?

    Ce détournement de la rationalité est renforcé par les réseaux sociaux qui diffusent des statistiques utilisées sans la moindre rigueur scientifique et des raisonnements qui sont au mieux des paralogismes mais bien plus souvent des sophismes.

    En donnant satisfaction aux désirs inavoués de leurs lecteurs et auditeurs, ils exploitent leur faiblesse, leur donnent l’impression de détenir la vérité, de vivre intensément, mais les privent de tout réalisme et esprit critique. Le succès de ces revendications s’explique par l’excitation, la passion qu’elles donnent aux individus.

    Les chiffres ne donnent pas la juste vérité même s’ils sont exacts. Les jugements ne sont pas non plus définitifs, incontestables. Les progrès de la connaissance humaine sont indéniables, mais montrent en même temps l’incommensurabilité de la nature devant laquelle l’intelligence de l’Homme est impuissante.

    Pascal l’a déjà dit : « Notre intelligence tient dans l’ordre des choses intelligibles le même rang que notre corps dans l’étendue de la nature. »

    Les franges de population dont il est question ne l’ont pas compris (si elles l’ont lu) et jouent à l’apprenti sorcier. Mais leurs certitudes sont passionnelles, infondées et par suite dangereuses. Elles contraignent les élus à accepter leurs exigences sans se préoccuper de l’avis des sociétés savantes, ni respecter les règles de la dialectique et de l’analyse critique.

    L’évolution actuelle est un crime contre la Raison commis par des personnes qui s’en réclament aux dépens d’une population trahie par l’aveuglement et la faiblesse de ses représentants. Les sophistes ont eu raison de Socrate : arrêtons-les avant qu’il ne soit trop tard.